« Petite histoire d’un grand lycée » (1989)

(actualisé le ) par Cabinet d’histoire-géographie

En mai 1989, dans le livre publié à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire du lycée, Michel Arondel (1923-2005) donne une suite à l’article d’Albert Jourcin (1901-1999), écrit trente-six ans auparavant. Repris au début des années 1950, son récit s’ouvre par l’inauguration de la plaque commémorative de la Seconde Guerre mondiale (1956) et rapporte la création du cabinet d’histoire-géographie, au deuxième étage de l’aile Perronet, par le proviseur Saissac (1948-1958), l’intendant Vincens et Albert Jourcin.

Albert Jourcin a publié cet historique du lycée en 1953. Trente-six ans se sont écoulés depuis, au cours desquels le lycée Pasteur a continué à s’affirmer et à se développer. M. Jourcin a évoqué les morts nombreux de la Seconde Guerre mondiale : le proviseur Saissac, le 4 mars 1956, a inauguré avec beaucoup d’émotion (car cet homme bourru était un sentimental) dans le parloir, la nouvelle plaque, au-dessous de celle de 1914-1918 ; les hommes de ma génération y lisent, hélas, beaucoup de noms qui leur furent familiers.

Dès l’origine, des cabinets et laboratoires avaient été remarquablement installés, grâce à Simon et Lefèvre pour les sciences naturelles, à Dixsaut pour la physique et la chimie ; mais historiens et géographes continuaient à devoir nomadiser de classe en classe, avec leurs cartes et leurs documents sous le bras… Grâce soit rendue à la volonté du proviseur Saissac et de l’intendant Vincens : ils sont les créateurs, avec M. Jourcin, d’un cabinet et de deux salles équipés, auxquels deux autres salles sont venues s’ajouter ensuite, au second étage, au bout du couloir Perronet.

M. Saissac parti pour la retraite en 1958, lui succédèrent M. Emanuely (1959-1966), M. Croquelois (1966-1973), enfin M. Perrin, qui s’apprête à nous quitter à son tour en 1989. Il faut signaler à ce propos que si j’excepte M. Bobin (1958-1959), qui en moins d’un an avait su se faire apprécier, mais disparut brutalement en cours de mandat, tous les proviseurs, depuis Fleureau, n’ont quitté le lycée que pour prendre leur retraite ; aucun ne l’a « déserté » pour un autre lycée. M. Perrin. dixième proviseur, ne fera pas exception à la règle, mais il bat le record de longévité, étant resté à la tête du lycée pendant seize ans. Et je n’hésite pas à ajouter : pour le plus grand bien de notre maison. M. Saissac avait créé en 1949, nous l’avons vu, les deux premières classes préparatoires, une lettres supérieures et une mathématiques supérieures. Depuis lors, la mathématiques supérieures a été dédoublée, et une mathématiques spéciales a vu le jour, qui connut très vite de brillants succès aux concours. Mais ce fut tout et, cendrillon, la petite lettres supérieures restait solitaire. La grande tâche de M. Perrin a été de consacrer définitivement le lycée Pasteur comme grand lycée de classes préparatoires : création d’une seconde, puis d’une troisième mathématiques spéciales (M’, M et P’), et une quatrième, P. doit ouvrir en 1989-1990 ; 1975 a vu la création d’une classe de préparation aux hautes études commerciales qui, vu son succès, fut dédoublée dès l’année suivante ; enfin, en 1978, la lettres supérieures cessa enfin d’être solitaire, avec l’installation d’une première supérieure moderne, à quatre options, puis cinq en 1987, qui a vite obtenu des résultats encourageants, puis brillants, au concours de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud.

Si les classes secondaires, qui sont le cœur même du lycée, ont vu se développer en aval des classes préparatoires qui leur fournissent un débouché sur place, et ainsi les stimulent, à l’inverse en amont, les classes primaires, de l’enfantine à la septième, furent supprimées. Enfin, à partir de 1974- 1975, la mixité s’est installée progressivement sans heurts ; il est vrai que dans le passé, elle avait déjà existé en terminale, dans une sorte de symbiose avec le « cours secondaire », logé en face, à l’angle de la rue Borghèse, et qu’elle a régné dès le début dans les classes préparatoires. Naturellement, en trente-six ans, le lycée n’a pas connu que des triomphes ! Comme tous, il a été pris dans la tourmente des « événements » de mai-juin 1968. Il est néanmoins significatif d’une tradition de tolérance maintenue contre vents et marées, et d’une vie du lycée quasi familiale, que, fait rare et peut-être unique, l’amicale des professeurs (et de tout le personnel), fondée par Pierre Carpentier, l’angliciste dont la mémoire reste vivante, ait pu tenir sa fête annuelle, impavide, au début de juin. Certes, les « extrémistes » des deux bords n’étaient pas là ; mais, qu’une majorité soit venue, ceux qui faisaient la grève et ceux qui ne la faisaient pas, révèle bien un certain « esprit » de Pasteur que l’on peut espérer préservé.

Les bâtiments de Umbdenstock n’ont guère changé, si l’on excepte la regrettable démolition, pendant la guerre, des deux escaliers de pierre qui unissaient le bâtiment central aux deux terrasses des gymnases. Bien sûr, les installations intérieures n’ont pas cessé d’être modernisées, notamment celles des sciences physiques, qui en avaient grand besoin et sont aujourd’hui « à la pointe du progrès » ; des laboratoires de langues, des salles d’informatique, ont été aussi créés.

Une péripétie, fort coûteuse au demeurant et qui aurait pu avoir des conséquences très graves, est venue accidenter ce parcours serein. Un couple d’agents, logé sous le toit du bâtiment de l’administration, fut intrigué de trouver chaque matin des petits tas de sciure tombée du plafond ; l’alarme donnée, il fut constaté que des capricornes avaient presque complètement rongé la charpente de l’immense toiture qui aurait pu s’effondrer d’un coup. Pendant un an et demi, le bâtiment dut vivre sous un grand « parapluie » de tôle ; charpente et toiture furent entièrement refaits. Depuis, tranche par tranche, sont repris les toits moins endommagés des bâtiments du pourtour.

Au bout du compte, la phrase qu’écrivait A. Jourcin dans sa conclusion en 1953 peut être reprise telle quelle aujourd’hui : « en soixante-quinze ans, le lycée Pasteur, tout en s’adaptant et en évoluant sans cesse, a su rester lui-même et garder son âme ».

Michel Arondel, « Petite histoire d’un grand lycée », Lycée Pasteur 1914-1989, Neuilly, mai 1989, pp. 13-16.