18 octobre 2023. — Centenaire de l’inauguration du lycée Pasteur

(actualisé le ) par Cabinet d’histoire-géographie

Le lycée Pasteur célébrait son centenaire en 2014. Comme en 1964 ou en 1989, il commémorait sa création à la date de son ouverture officielle, par décret du président de la République, et son anniversaire coïncidait avec celui de la Grande Guerre, mais l’histoire lui concède d’autres dates de naissance : celle de la pose de sa première pierre, le 6 juillet 1912, celle de la première rentrée des classes dans ses murs, après sa réquisition de guerre, le 1er octobre 1919, celle enfin de son inauguration officielle, le 18 octobre 1923, trente ans après la première délibération municipale à son sujet. Une cérémonie se tient ce jour-là dans la salle des fêtes du lycée, sous la présidence du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, devant les professeurs en robe, les élèves et leurs familles. On trouvera ci-après des morceaux choisis de quatre des sept discours prononcés, ceux de l’architecte, du maire, du proviseur et du ministre.

Discours de M. Gustave Umbdenstock, architecte du lycée Pasteur

Discours de M. Ernest Deloison, maire de Neuilly-sur-Seine

Discours de M. Ernest Janelle, proviseur du lycée Pasteur

Discours de M. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique


Discours de M. Gustave Umbdenstock, architecte du lycée Pasteur

Monsieur le Maire,

Suivant une tradition de l’époque médiévale dont vous avez bien voulu rétablir l’usage, le maître de l’œuvre du bâtiment vous fait la remise du lycée.

C’est votre municipalité qui m’a témoigné sa confiance en me donnant pour mission de préparer les études et de diriger les travaux jusqu’à leur complet achèvement. Je tiens tout d’abord à vous exprimer mes sentiments de reconnaissance, dont une part importante se reporte sur l’ancien maire, M. Nortier, mort au champ d’honneur, qui m’avait témoigné, comme vous l’avait fait ensuite, une confiance et une estime grâce auxquelles j’ai pu aboutir au résultat final pour me trouver devant vous le jour de l’inauguration. […]

Nous ne pouvons pas oublier que beaucoup d’entre ceux qui ont travaillé en 1912-13-14 ne répondent plus à l’appel. Ils sont morts pour la patrie et nous saluons leur mémoire en évoquant le souvenir de ces héros, martyrs de la cause sacrée de l’indépendance et de la civilisation. […]

Nous avions tous le même sentiment de confiance réciproque et un bon esprit de solidarité, puisque nulle grève n’a pu entraver la marche normale du chantier pendant une période de deux ans et demi, de 1912 à 1914. […]

Que de souvenirs s’attachent à ce passé ! Plus de douze ans se sont écoulés depuis la pose de la première pierre du lycée. Nous devions être prêts pour le 1er octobre 1914, et nous l’aurions été en toute certitude. Le 30 juillet 1914, mon principal collaborateur d’entreprise, M. Blazeix, à qui j’annonçais ma démarche auprès du ministre de la Guerre pour reprendre du service, me certifiait que le conflit n’aurait pas lieu, car personne en France ne voulait entrevoir un tel cataclysme. Le 31 juillet la mobilisation générale était décrétée ; le soir même, je vins fermer le chantier pour partir avec mes compagnons de travail, sac au dos, face à l’ennemi.

Notre lycée devint un hôpital et servit, grâce à l’initiative de personnalités américaines, pour soigner nos blessés.

Mais le lycée, non achevé en 1914, nous fut rendu en bien mauvais état en juillet 1919. Malgré nos efforts, malgré l’activité déployée tant par le conseil municipal de Neuilly et son maire actif et bienveillant que par nos entrepreneurs dévoués nous attendons encore depuis cinq ans les derniers crédits nécessaires pour terminer d’une façon satisfaisante ce que la guerre, avec ses conséquences, ne nous a pas permis de réaliser. […]


Discours de M. Ernest Deloison, maire de Neuilly-sur-Seine

Votre présence, Monsieur le Ministre, confère à cette cérémonie un grand éclat. Elle lui donne aussi tout son sens qui est de confirmer officiellement et définitivement le pacte conclu entre l’Université de France et la ville de Neuilly pour assurer, dans un effort commun et par une collaboration étroite et constante, la réalisation d’un même but. Ce but n’est autre que la formation intellectuelle et morale de la jeunesse française, en particulier de celle qui habite Neuilly et les diverses communes de la banlieue ouest. […]

Comme toutes les œuvres durables, celle-ci ne s’est point réalisée en un jour. Une longue période de gestation précéda celle de la décision, puis de l’exécution. Il n’est que juste, à ce propos, de rendre hommage à nos devanciers, à cette assemblée municipale qui, dès 1893, se préoccupait de construire un lycée à Neuilly. Ni cette municipalité, ni celles qui lui succédèrent ne sont responsables des difficultés financières et administratives qui ont reculé, jusqu’à l’année 1907, le vote d’une délibération définitive.

Aussi bien, dès que cette résolution formelle fut prise, mon prédécesseur, Édouard Nortier, de concert avec M. le député Depasse, loyalement associé avec lui au service de cette cause, déploya-t-il, pour en assurer le triomphe, une activité si tenace que le succès n’en pouvait être douteux.

Au mois de juillet 1909, le choix du terrain était fixé et son acquisition devenue effective. Entre temps, un accord intervenu entre l’État et la ville avait déterminé leurs obligations financières, réciproques et solidaires. […]

De 1910 à 1912, le conseil municipal avait dû se préoccuper de rassembler les ressources nécessaires au paiement de sa part contributive dans la construction du lycée. Ce problème fut heureusement résolu. Il convint alors de rechercher le nom qui serait donné à notre grand établissement secondaire. Celui de Pasteur fut choisi. Nous devons à cette décision l’honneur de pouvoir saluer ici les héritiers de ce grand Français, héritiers de son nom ou de son savoir, qui ont bien voulu s’associer à l’hommage que nous rendons aujourd’hui, indirectement, à son illustre mémoire. […]

Le lycée, ayant ainsi cessé d’être une entreprise anonyme, incertaine et de pur avenir, la première pierre put en être posée solennellement en la présence de M. Guist’hau, ministre de l’Instruction publique, le 6 juillet 1912.

Pendant deux années, sous l’énergique impulsion de M. Umbdenstock, toujours encouragé et secondé par l’assemblée municipale, la construction fut, à grands pas, poursuivie.

La guerre, hélas ! devait cependant la trouver inachevée. Était-ce donc un pressentiment qui nous avait fait donner à ce lycée le nom de l’incomparable savant à qui une foule innombrable de blessés ont dû la vie ? Le lycée Pasteur devint une ambulance. Et certes, nous n’avons pas un seul instant eu la pensée de nous en plaindre. Les destinées des peuples et celles des individus étaient bouleversées, les maisons s’écroulaient. Pourquoi les édifices publics auraient-ils traversé paisiblement la tourmente ?

Il n’en est pas moins vrai que cette réquisition a sur l’actuelle situation du lycée des répercussions douloureuses. Ce n’est point un établissement terminé, Monsieur le Ministre, que je vous remets aujourd’hui, c’est, en quelque sorte, une œuvre mutilée, une victime de la guerre. […]

Son existence si courte est déjà glorieuse. Ses murs ont entendu des râles d’agonie et la première génération de ses élèves a été une génération héroïque. Celle qui lui a succédé a vécu, pendant la guerre, une vie errante. Nos lycéens d’aujourd’hui sont dignes de leurs devanciers. Déjà, au dernier concours général, ils ont su assurer au lycée de Neuilly un rang plus qu’honorable. Voilà bien des titres, Monsieur le Ministre, à votre bienveillance. […]


Discours de M. Ernest Janelle, proviseur du lycée Pasteur

Les rois de France n’ont pas toujours été sacrés au lendemain de leur avènement. Le plus long retard fut celui du pauvre sire que Jeanne d’Arc conduisit de victoire en victoire jusqu’au seuil de la basilique de Reims, trop heureux encore, grâce à la bonne Lorraine, de n’avoir attendu que sept ans.

Nous touchons au terme d’une plus longue patience…

Dix années bientôt ont passé depuis le jour où M. Louis Barthou, ministre de l’Instruction publique, déférant au vœu de la municipalité de Neuilly, attribuait à notre lycée un nom glorieux entre tous, et voici qu’aujourd’hui seulement, comme pour clore la série des fêtes du centenaire de Pasteur, M. Léon Bérard vient consacrer officiellement l’existence de la maison qui s’honore de porter ce grand nom.

La rentrée d’octobre 1914 devait voir à la fois l’ouverture et l’inauguration du lycée ; mais, plus d’un parmi nous ne saurait l’oublier, ce ne fut pas dans l’allégresse d’une fête que le lycée Pasteur, riche seulement de son nom, de son courage et de son espoir, commença la vie errante dont les débuts difficiles pèsent encore sur son développement. […]

S’il nous suffisait d’occuper un magnifique édifice où l’air et la lumière inondent des salles confortables et spacieuses, où tous les services doivent être, dans un avenir très proche, pourvus au-delà du nécessaire, où de vastes dégagements permettent de circuler à l’aise et à l’abri, alors qu’à tous ces avantages pratiques s’ajoute le rare mérite d’une conception d’art bien française dans son élégante et sobre grandeur, nous serions bientôt à l’étroit. Le fait est que ce charme opère et qu’aucune des familles qui nous amènent leurs enfants ne manque de s’extasier sur la beauté de cette maison, ni d’émettre à son honneur les comparaisons les plus flatteuses.

Mais la réputation d’un lycée ne dépend pas seulement du bien-être matériel, de l’hygiène et du décor de la vie scolaire. Les études qu’on y fait, la formation morale que les élèves y reçoivent et s’y donnent entre eux sont d’une autre importance. Me sera-t-il permis de dire aux familles, que j’aurais voulu convier en plus grand nombre à cette réunion, de quelles garanties ces deux intérêts essentiels sont assurés au lycée Pasteur ?

Les maîtres aux mains de qui fut d’abord remis son destin ont eu pleine conscience de la gravité de leur tâche ; ceux qui sont venus au cours de ces neuf années les remplacer ou se joindre à eux n’y sont pas moins attentifs.

Héritiers et gardiens d’une tradition de culture intellectuelle qui remonte bien au-delà de l’Université impériale, tradition progressivement adaptée à l’évolution sociale, mais toujours fidèle à elle-même et, au besoin, restaurée, les maîtres de l’enseignement secondaire voient changer les programmes et se succéder les réformes, je ne dirai pas sans y croire, — l’ardeur de certaines discussions prouverait le contraire, — mais avec la conviction que les programmes successifs valent surtout par l’esprit qui demeure, et qu’il n’est guère d’outil médiocre au bon et consciencieux ouvrier. […]

Au lycée, Mesdames et Messieurs, ce qu’on demande avant tout à vos enfants c’est la sincérité. Nous ne sommes pas satisfaits à moins que de voir devant nous des visages ouverts, de rencontrer des yeux qui nous regardent bien en face, sans avoir l’air de craindre que nous y discernions quelque trouble reflet. […]

Ils vous devront sans doute, à vous pères et mères, de vertus plus délicates et nous en ferons grand cas, puisque votre tâche, qui se coordonne à la nôtre, la facilite et l’achève. Serait-il juste cependant de passer sous silence l’action morale qu’exercent les maîtres de notre lycée par la valeur de leur caractère et la dignité de leur vie ? À leur faire un mérite du dévouement et de la droiture, on risquerait de les offenser ; le risque sera moindre sans doute de louer leur indépendance, un peu fière et ombrageuse à la rencontre, mais justifiée par le désintéressement qu’ils pratiquent sans l’afficher. […]

Mais ce lycée que nous inaugurons a déjà son passé. Ouvert au début de la grande guerre, il a, comme ses aînés, son livre d’or, annales d’héroïsme et de deuil. Au mois de juin 1922, pour la première fois, sa personnalité morale s’est affirmée devant le monument dédié à la mémoire d’un professeur et de cinq élèves tombés au champ d’honneur, hommage qui fut l’acte suprême de son premier proviseur et la réalisation de son plus cher désir. […]


Discours de M. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique

Lorsque j’aurai de tout cœur remercié et félicité des maîtres de qui les habitudes d’esprit s’accommodent le plus volontiers de la louange la plus brève et des actions de grâce les moins solennelles — car ils savent que « ce sont les faits qui louent » et non les épithètes, — saurai-je échapper, chers élèves, à la nécessité ou à la tentation de m’essayer, pour vous, à quelque leçon de morale ? [...]

À n’en juger que par l’ambition modérée avec laquelle on aborde parfois les études, on serait tenté de croire que nous proposons à la jeunesse des modèles d’une grandeur démesurée.

C’est l’originalité et l’incomparable vertu de l’enseignement secondaire français que tout s’y passe — sous tous les régimes scolaires et avec tous les programmes — comme si tous ceux qui le reçoivent étaient appelés à discuter les grands problèmes de l’esprit, à renouveler la beauté ou le savoir, à traiter des plus hauts intérêts des nations. À quelques-uns, ce plan ou cet idéal peut paraître chimérique ou excessif, en opposition anachronique avec la vie affairée que nous menons. Il n’en est pas moins sûr que le jour où nous y renoncerions, l’enseignement secondaire aurait cessé d’exister pour devenir quelque chose à quoi il ne serait peut-être pas facile de trouver tout de suite un nom dans la langue des institutions pédagogiques. Nous voulons qu’il vive, rajeuni et fortifié, parce que nous croyons qu’il répond tout justement, et par son idéalisme même, à une des nécessités pressantes d’aujourd’hui.

En un temps où tout se discute, il n’est pas indifférent que ceux qui mènent la discussion puissent tout au moins s’entendre, au vrai sens du mot, jusque dans leurs divergences fatales et quelquefois fécondes. La dispute elle-même ne saurait se concevoir sans une communauté de logique et d’habitudes intellectuelles.

Et n’est-il pas d’ailleurs démontré que ces façons communes de raisonner et de comprendre ont le don de transformer en nobles et utiles controverses des querelles qui tendraient à dégénérer en discorde ? Nous tenons cependant et non point seulement par un parti pris d’idéalisme, mais aussi pour l’avoir appris d’une longue expérience, que c’est seulement à un certain degré d’altitude spirituelle que peut se créer entre les intelligences une fraternité réelle et durable. Ne craignez donc point, chers élèves, que nous soyons trop ambitieux pour vous, que nous visions trop haut. Le souvenir et l’exemple des plus grands sacrifices est trop près de vous pour que vous n’abordiez pas avec une ferveur résolue les disciplines du lycée. Vous leur devrez l’honneur de contribuer un jour pour votre part virile au maintien de l’amitié française et à la vitalité de notre esprit.

Inauguration du lycée Pasteur le 18 octobre 1923 sous la présidence de M. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Paris, 1924.


Le premier siècle du lycée Pasteur