1er septembre 1914. – Transformation du lycée Pasteur en ambulance de guerre

(actualisé le ) par Cabinet d’histoire-géographie

Le lycée Pasteur est ouvert par un décret du président de la République daté du 30 mai 1914. Commencée deux ans auparavant par la pose d’une première pierre, sa construction s’achève à l’été 1914, mais la déclaration de guerre du 3 août 1914 prive le lycée d’une première rentrée dans ses murs. En réponse à une proposition de l’Hôpital américain de Paris d’accueillir des blessés de guerre sur le site qu’il occupe à Neuilly, le ministère de la Guerre décide, malgré les réserves de la municipalité, de réquisitionner le bâtiment d’Umbdenstock pour le mettre à la disposition de la colonie américaine de Paris qui le transforme en ambulance. À l’été 1917, après l’entrée en guerre des États-Unis, l’ambulance fait place à un hôpital militaire américain ; une cérémonie de clôture se tient au lycée le 22 juillet.

Les débuts de l’ambulance américaine dans Le Figaro

Dans son édition du 21 septembre 1914, Le Figaro publie un récit des débuts de l’ambulance américaine.

N.B. : la photo ci-contre de la cour-jardin est datée de 1914 ; publiée par The World’s Work en décembre 1916, elle est conservée dans les collections de la bibliothèque numérique Gallica-BNF.

POUR LES BLESSÉS

Une œuvre américaine

C’est mieux qu’une œuvre. C’est une espèce de chef-d’œuvre.

Il y a une quinzaine d’années, nos amis des États-Unis créaient, à Neuilly, un hôpital américain. Ils viennent de donner à cet hôpital une « annexe », appelée modestement par eux « section ambulancière » de l’hôpital américain. Et cette section, c’est simplement le splendide lycée Pasteur, tout neuf, inachevé encore en certaines parties et que réquisitionnait l’autorité militaire au lendemain de la mobilisation.

Mais qui allait occuper le lycée Pasteur ?

Tout de suite, la colonie américaine de Paris a demandé que l’honneur et la charge de cette occupation lui fussent laissés ; et en quelques semaines, sans bruit, avec une ardeur de dévouement, une intelligence, une perfection de méthode qu’on ne dépassera point, elle a fait du lycée Pasteur le modèle des hôpitaux militaires.

Le comité chargé d’organiser l’œuvre s’y installait vers le 10 août ; et l’un des hommes éminents qui le composent déclarait : « Nous savons ce que nos pères, en 1870, ont fait pour Paris ; nous serons dignes d’eux. »

Ils l’ont été. L’appel fait par ces hommes de cœur à la générosité de leurs compatriotes de Paris et des États-Unis a produit, en cinq semaines, six cent mille francs. Ils disent : « Nous voulons trois millions. » Ils les auront.

Mais ce n’est pas tout d’exceller à faire des collectes, fût-ce des collectes de millions. Il faut savoir se servir de ces richesses-là. Les fondateurs de la section ambulancière se mettaient à l’œuvre dès le lendemain du jour où le lycée Pasteur leur avait été confié ; et tout d’abord dans l’immense édifice se taillaient leur domaine. Une quarantaine de salles d’étude étaient transformées par eux en dortoirs ; autour de ces quarante dortoirs étaient réservés les emplacements, les locaux nécessaires à l’installation des services multiples que comporte une création d’hôpital.

Parmi ces locaux, il y en avait dont l’aménagement n’était point achevé encore. On y mit les ouvriers. On manda même quelques vitriers et quelques peintres pour achever, çà et là, des besognes que la guerre avait interrompues.

En quelques jours tout était fait. La « section » américaine occupait toute une aile du grand lycée. Elle possédait son cadre. Il ne restait qu’à le remplir. Ce fut vite fait encore.

En même temps que s’organisait le service des voitures destinées à rouler vers le front pour en ramener les blessés, la section achevait de tout préparer chez elle pour les recevoir : salles d’opérations, salles de pansement, lingerie, bains, cuisines… et autour de cette brillante improvisation, le personnel.

Un personnel hors de pair, en vérité : une élite ; à la tête de laquelle figurent seize médecins et chirurgiens dont quelques-uns sont célèbres. Au service de ces médecins et de ces chirurgiens se sont mis une quarantaine d’infirmiers, et un effectif à peu près double d’infirmières. De ces infirmières, les unes (plus de trente), sont diplômées ; ce sont des professionnelles, mais venues par vocation au métier qu’elles exercent et presque toutes sorties d’excellentes familles américaines.

Les autres sont des volontaires : dames ou jeunes filles de cette colonie américaine de Paris dont nous aimions la générosité, l’élégance, la cordialité fastueuse, mais qui vient de se révéler à nous sous un aspect nouveau, et de nous montrer de quelle vaillance sont capables des « femmes du monde » qui ont résolu de n’être, dans la plus haute acception du mot, que des femmes, – tant qu’il le faudra.

Sans nul souci de coquetterie, souriantes, mais uniquement attentives à leur tâche, elles vont, viennent, entourent les malades, vaquent à d’humbles besognes de ménagères ; et ces ménagères, on me les nomme, ou je les reconnais. Ce sont quelques-unes des reines américaines... de Paris.

Le groupe des infirmiers et des gens de service n’est pas moins intéressant. La section a deux concierges. L’un est un riche rentier américain ; l’autre, chevalier de la Légion d’honneur, est un peintre connu, – américain aussi.

Et voici, occupé à la cuisine, un élégant clubman de la colonie ; au service des chambres, un financier à qui la guerre fait des loisirs. Ainsi des autres. Un des chirurgiens de la section me dit :

– Qu’importe la besogne qu’on fait ? Toutes les besognes peuvent être nobles ; et vous savez notre adage : The man glorifies the work...

N’est-ce pas aussi un des avocats les plus sympathiques de la colonie américaine que je voyais tout à l’heure, en tablier, les bras nus, joyeusement occupé à refaire le lit d’un blessé ?

***

N.B. : la photo ci-contre est datée de 1914 ; elle est conservée dans les collections de la bibliothèque numérique Gallica-BNF.

Car la section américaine est un des premiers hôpitaux auxiliaires à qui l’on ait donné des blessés.

Elle en avait 240 la semaine dernière ; elle doit en avoir 300 aujourd’hui. Et elle ne demande pas mieux que d’en recevoir encore. Ses ressources - elle l’espère, du moins ! - deviendront grandes ; et le lycée Pasteur l’est aussi.

J’ai dit que ces blessés sont ramenés du front, tous les jours, par les douze automobiles de la section. Ce sont des voitures légères, roulant bien, et dans chacune desquelles peuvent être placés, côte à côte, deux blessés. Un brancardier-conducteur et un infirmier sont sur le siège. Des médecins escortent le convoi.

Dès le retour des voitures, chaque blessé est sommairement examiné et, suivant le besoin, conduit à la salle de pansement, à celle des réductions de fractures, ou, si l’intervention immédiate est nécessaire, à la salle d’opérations.

S’il est en état de supporter un bain, il prend un bain ; sinon il est lavé aussi complètement et aussi soigneusement que possible. Et puis on le transporte à son lit. On le laisse se reposer aussi longtemps que cela est nécessaire ; et voici venir d’autres bienfaiteurs qui vont apporter au malade le plus précieux des réconforts.

Ces bienfaiteurs que le blessé voit apparaître à son chevet dès le lendemain de son arrivée, c’est le coiffeur qui vient lui faire la barbe et lui couper les cheveux ; c’est la pédicure, chargée aussi de l’examen si important des ongles des mains ; et c’est enfin le dentiste.

La plupart de ces pauvres blessés n’ont pu, depuis des jours, et des semaines quelquefois, se soigner la bouche. Ils arrivent avec des dentitions en mauvais état, et parfois des gencives tuméfiées qu’il faut soigner d’urgence. Il n’y a que nos troupes d’Afrique qui échappent à cet inconvénient de la guerre. Le soldat africain (j’entends l’indigène) a toujours sur lui, même en campagne, de petits bouts de bois qu’il emploie machinalement à se frotter les gencives et les dents ; l’Arabe soldat sort des pires épreuves, me disait un des médecins de la section, avec des dents blanches et la bouche fraîche.

On a groupé les blessés en petites familles ; et voici les salles des officiers, celles des sous-officiers et des soldats. Les blessés allemands, prisonniers de guerre, sont séparés des autres ; mais partout, Anglais et Français ont tenu à être réunis. Des livres, des revues leur ont été apportés ; un général convalescent lit une carte déployée sur son lit, et commente les derniers faits de la campagne. Une atmosphère de paix, de bien-être remplit ces chambres toutes blanches, où déjà les visages reflètent une expression de sécurité contente. Sous la parure de leurs pyjamas clairs, ces blessés de guerre semblent d’élégants sportsmen qui seraient venus se reposer ici de quelque épreuve un peu rude.

La section militaire de l’hôpital américain est gouvernée par une commission de cinq personnes, sous l’autorité desquelles sont groupés tous les services. Chacun de ces administrateurs prend, un jour sur cinq, la direction de la section. Il est alors l’« officier du jour », the officer of the day ; et, pendant la durée de son service, donne les ordres, assume les responsabilités, dirige en chef la maison. De là l’ordre parfait qu’on y voit régner. Chacun est à sa place, sait qui commande et à qui obéir. Et le roulement ainsi établi permet aux « commissaires » de connaître en ses moindres détails la machine qu’ils ont en mains, puisque tous les cinq jours c’est le tour de l’un d’eux de la faire marcher.

Qui sont-ils ? Et qui sont leurs collaborateurs ? J’aurais voulu le dire. Je ne le puis pas. Ces hommes de cœur, à qui suffit la joie d’avoir été en 1914, comme ils le disent, dignes des Américains de 70, désirent qu’on ne les nomme point.

Du moins me permettront-ils de nommer ici leur chef à tous, leur éminent ambassadeur, S. Exc. M. Myron E. Herrick, qui a été l’âme de cette entreprise généreuse. Nous ne devrons jamais l’oublier ; et ce nous sera, au surplus, une joie de nous en souvenir. À l’égard de certains hommes, la gratitude est le plus agréable des devoirs.

Émile Berr

Le Figaro du 21 septembre 1914 dans la bibliothèque numérique Gallica-BNF

La photo de la cour extérieure dans la bibliothèque numérique Gallica-BNF

La photo de la cour intérieure dans la bibliothèque numérique Gallica-BNF


Sommaire

Les premières années du lycée Pasteur dans la presse parisienne (1912-1934)